L'émancipation des femmes en Amérique latine
Les femmes latines engagées dans la littérature, deux exemples.


Alfonsina Storni
Alfonsina Storni est une grande poétesse et auteur qui reflète par son œuvre autant que par sa vie le féminisme. Sa vie fut très mouvementée, elle se heurta à beaucoup d’obstacles, qu’elle réussit à surmonter de par son indépendance et sa liberté. Fille d’immigrants argentins réfugiés en Suisse, elle naquit en 1892 en Suisse, avant de repartir avec sa famille dans son pays d’origine. Elle perdit son père à 14 ans. Sa mère lui avait déjà fait abandonner l’école à 11 ans, pour travailler auprès d’elle et lui inculqua ainsi sans s’en rendre compte les bases d’une indépendance qui détermina et guidera la poétesse toute sa vie. En effet, adolescente, elle exerça déjà divers métiers comme couturière, employée d’usine ou employée dans une compagnie de théâtre. Elle finit par reprendre des études à l’âge de 17 ans, et obtint son diplôme de professeur d’arts dramatiques. Elle commença à écrire ses poèmes mais tomba enceinte d’un homme marié trois ans plus tard. Pour l’époque, cette situation était impensable, une telle infamie aurait dû être cachée et Alfonsina rejetée. Pourtant, si elle subit de nombreuses injures et humiliations, la jeune fille de 20 ans assuma sa grossesse, décida de s’éloigner de Rosario, la ville où elle résidait, pour s’enfuir à Bogota et s’y construire une nouvelle vie.
Quand son fils naît en 1912, elle devient à la fois femme, mère et totalement livrée à elle-même. Elle doit donc affronter seule les difficultés que la vie lui impose, et trouver l’argent nécessaire à l’éducation de son fils. Elle trouva des emplois basiques comme caissière, et plus intellectuels comme journaliste pour des revues et journaux locaux. Elle n’abandonna pas pour autant ses poèmes et c’est en 1916 qu’elle publie, avec difficulté, son premier recueil « La inquietud del rosal ». Pour ce recueil elle fut notamment inspirée par sa vie. Elle y dénonce en effet une société à laquelle elle est confrontée tous les jours, une société pleine de préjugés envers les femmes, souvent générés par les femmes elles-mêmes. Cette société rejetait ses poèmes, jugés immoraux, comme « La Loba ». En effet, ses œuvres abordaient des thèmes choquants et trop directs pour l’époque, comme la sexualité féminine ou la domination masculine : elle allait du romantisme classique jusqu’à de l’érotisme, en passant par des articles de journaux féministes, dénonçant le pouvoir et l’oppression exercé par l’homme sur la femme. Les critiques divisèrent son travail artistique en deux périodes : la période du romantisme à travers l’érotisme pur et la sensualité, puis celle où elle étudie le romantisme de façon plus réfléchie et abstraite, en laissant sentiments et sensualité de côté. Storni fut la première femme à entrer dans la communauté d’écrivains d’Argentine. Cette avancée dans sa vie artistique ainsi que la publication de son deuxième recueil en 1918 « El dulce daño » la firent monter au rang de poète de prestige. Mais sa rébellion contre l’oppression de la femme ne passa pas que par la littérature. L’artiste participa à la défense du droit de vote des femmes, ainsi qu’à des campagnes pour appuyer la réforme de l’éducation sexuelle à l’école. Libre dans ses relations amoureuses, bisexuelle, Alfonsina étaient mal vue et souffrait au quotidien d’un rejet de sa personnalité et de ses actes, parfois même de ses œuvres, trop modernistes et trop proche de l’idéologie de vie du 21ème siècle. La dénonciation du système trop traditionnel et oppressif de l’homme passait par ses poèmes, comme « Tú me quieres blanca » dans lequel elle parle en tant que femme qui veut vivre un amour pur, mais qui tient pourtant les rennes de ses relations. Elle écrivit au total huit recueils de poèmes, en plus d’œuvres théâtrales et d’articles journalistiques. Si en tant que dramaturge elle ne développa pas trop son œuvre, elle créa plusieurs comédies infantiles, et une grande comédie composée de trois actes : El « amo del mundo » en 1927.
Alfonsina Storni fut malade. Un cancer du sein la décima petit à petit durant ses dernières années de vie, et malgré les efforts des médecins, elle ne guérit pas. Elle se servit de la peur de cette maladie, de sa solitude face à elle et de sa décision de vouloir contrôler sa vie pour trouver la force d’écrire dans les derniers mois. Obsédée par la mort, la tristesse et la mer, elle finit par se suicider à l’aurore du 25 octobre 1938 en se jetant dans l’océan. Elle avait écrit dans la nuit précédent ce suicide un poème à l’intention de son fils Alejandro et de ses lecteurs «Voy a dormir».
A travers la poésie, beaucoup de femmes ont réussi à pointer du doigt la condition féminine. Alfonsina Storni, elle, réussit à laisser son empreinte dans le mouvement du modernisme* et à toucher un public et une société en utilisant ses thèmes favoris (la mer, l’imagination, l’érotisme, la domination masculine et au contraire, l’insoumission féminine). Elle réussit à s’imposer dans une société en dénonçant crument et en toute honnêteté et en traitant les problèmes universaux dont s’occupe le féminisme.
*Modernisme : Le modernisme en littérature hispano-américaine est un mouvement qui vise à rompre avec les traditions culturelles du XIXe siècle.
Extrait:
La Loba
Yo soy como la loba.
Quebré con el rebaño
Y me fui a la montaña
Fatigada del llano.
Yo tengo un hijo fruto del amor, de amor sin ley,
Que no pude ser como las otras, casta de buey
Con yugo al cuello; ¡libre se eleve mi cabeza!
Yo quiero con mis manos apartar la maleza.
Mirad cómo se ríen y cómo me señalan
Porque lo digo así: (Las ovejitas balan
Porque ven que una loba ha entrado en el corral
Y saben que las lobas vienen del matorral).
Ici, Storni est une louve qui s’éloigne du troupeau, c’est une femme qui s’éloigne de la conformité que suivent las ovejitas, moutons de panurge, qui reproduisent l’exemple donné sans se poser de questions. En effet, c’est une femme qui engendra un enfant issu de l’amour, un enfant illégitime. Elle fait référence dans ce poème aux autres femmes qui prennent peur devant sa liberté : la différence fait peur et le pouvoir de ne pas respecter les règles de la société est un pouvoir destructeur de cette société elle-même.
La Louve
Moi je suis comme la louve.
J'ai rompu avec le troupeau
Et je suis partie à la montagne
Fatiguée de la plaine.
J'ai un fils fruit de l'amour, de l'amour sans loi,
Que je ne pus pas être comme les autres, une race de bœuf
Avec joug au cou; que ma tête libre s’élève !
Moi je veux avec mes mains écarter la mauvaise herbe.
Regardez comment ils rient et comment ils me marquent
Parce que je le dis ainsi : (Les moutons de panurge bêlent
Parce qu'ils voient qu'une louve est entrée dans la cour
Et ils savent que les louves viennent du buisson).
Jeunesse
Sa vie, son œuvre
Fin de vie et repercusions
Luisa Valenzuela
Luisa Valenzuela est une journaliste et écrivain née en Argentine, à Buenos Aires le 26 novembre 1938. Fille d’écrivain, elle grandit dans une famille littéraire, à laquelle s’ajoutent les nombreux amis de sa mère écrivains comme par exemple Ernesto Sabato. Cet entourage littéraire lui permit de développer un intérêt et une sensibilité littéraire. A l’adolescence, elle commence à travailler à la Bibliothèque Nationale de Buenos Aires et à écrire dans la presse, ce sont les débuts de la « voyageuse infatigable », journaliste et écrivain à la renommée internationale. En effet, ses romans, nouvelles et essais apparaissent dans de nombreuses anthologies internationales et furent traduits en plus de dix langues, l’anglais principalement. Elle fut mariée jeune, et partit pour la France, où elle publia, en 1966, son premier roman intitulé Hay que sonreir qui s’avèrera être un grand succès.
Durant toute sa vie elle voyagea, passant par New York, Paris, Mexico ou encore Barcelone. Elle sera journaliste, enseignante, conférencière et écrivain. Ce sont ses voyages,

les cultures qu’elle découvre, les rencontres qu’elle fait, son retour en Argentine et la violence qu’elle y découvre qui alimenteront ses écrits. En effet, elle retourne en Argentine en 1974 et y découvre une violence inouïe dans le nouveau régime en place. Elle trouve dans le choc que lui firent la violence et la répression, ainsi que dans la nouvelle dictature, une source d’inspiration impressionnante. Elle écrira par exemple une longue série de nouvelles qui évoquent des sujets tels que la répression, la domination ou la censure. Elle s’échappa d’ailleurs une autre fois de ce pays de terreur pour s’exiler aux États-Unis, évitant ainsi la torture, la répression politique et la censure en 1979. Elle rentre définitivement dans son pays dix ans plus tard où elle est une fois de plus touchée par la terrible réalité argentine. Elle ne s’arrêta pourtant pas d’écrire, au contraire, elle développa un engagement déjà très prononcé. Cet engagement, à travers ses écrits, devient universel: dénoncer l’expérience argentine, c’est dénoncer toute les formes de répression, de discrimination, d’oppression. Ainsi, influencée par l’histoire de son pays et des nombreux lieux où elle a vécu, ses œuvres, nourries d’éléments essentiels comme l’humour et l’érotisme, proposent une réflexion poussée et un portrait de la société, d’un point de vue tout aussi social, politique que culturel, et tout en contournant la plupart des fois la censure imposée par son pays. Elle écrivit plus d’une vingtaine d’œuvres, certaines plus osées ou plus dénonciatrices que les autres, comme :
Hay que sonreír (Il faut sourire) ou Clara 1966:
Ce livre relate l’histoire de Clara, une jeune fille simple et naïve qui ne trouve d'autre moyen que de vendre son corps pour subvenir à ses besoins. Ce roman reprend l’idée principale de l’auteur : dire avec les mots et avec le corps, dénoncer et combattre toutes les formes de dictature, de soumission, de domination, en y ajoutant la fraicheur de l’érotisme.
Cambio de armas (Passe d’armes) 1982:
Cinq femmes prennent la parole : des femmes qui souffrent et s'opposent à toute forme de violence, d'autorité, de répression. Cinq femmes amoureuses qui luttent pour se défaire du joug de l’homme, du désir, de leur propre désir aussi, afin de reconquérir la liberté. Ces vois sont les voix censurées des victimes des dictatures de tous ordres. C'est un livre dont le caractère provocateur et courageux lui a valu d'être interdit durant le dictature militaire.
Aquí pasan cosas raras (Ici il se passe des choses étranges) 1975 :
C’est en 1975 qu’elle publie ce livre de contes, réalisé en seulement un mois, et décrivant la vie et l’atmosphère d’étouffement dans laquelle vivaient les habitants de sa ville natale, Buenos Aire. Ces contes présentent des conversations, des scènes de vie quotidiennes, décrivant et dénonçant un contexte politique oppressant, épuisant, sous l’autoritarisme exercé par Isabel Perón.